Résumé : |
Omar-Jo vient d’un pays en guerre, ses parents ont été tués lors d’une explosion. Il a été recueilli en France par des cousins. Tout près de leur domicile, à Paris, Maxime, le forain, a installé son manège ; mais ce dernier n’est plus vraiment fréquenté. Omar-Jo propose au vieil homme de travailler avec lui, pour redonner vie à ce manège. Par ses clowneries, il parvient à attirer le public.
Lorsqu’il sentait son public avec lui, applaudissant et riant de ses loufoqueries, Omar-Jo changeait brusquement de répertoire.
D’abord, il faisait taire la musique ; ses pitreries se fracassaient contre un mur invisible. Ensuite, il laissait un silence opaque planer au-dessus des spectateurs.
D’un seul geste, il arrachait alors les rubans ou les feuillages qui dissimulaient son moignon1. Puis, il présentait celui-ci au public, dans toute sa crudité.
Il ôtait son faux nez. En se frottant avec un pan de sa chemise, il se débarbouillait de son maquillage. Sa face apparaissait d’une pâleur extrême ; enfoncés dans leurs orbites, ses yeux étaient d’un noir infini.
Il s’était également dépouillé de ses déguisements qui s’entassaient à ses pieds. Il les piétina avant de grimper sur leurs dépouilles comme sur un monticule, d’où il se remit à parler.
Ce furent d’autres paroles.
Elles s’élevaient du tréfonds, extirpant Omar-Jo de l’ambiance qu’il avait lui-même créée. Oubliant ses jongleries, il laissait monter cette voix du dedans. Cette voix âpre, cette voix nue qui, pour l’instant, recouvrait toutes ses autres voix.
L’enfant multiple n’était plus là pour divertir. Il était là aussi pour évoquer d’autres images. Toutes ces douloureuses images qui peuplent le monde.
Mené par sa voix, Omar-Jo évoque sa ville récemment quittée. Elle s’insinue dans ses muscles, s’infiltre dans les battements du cœur, freine le voyage du sang. Il la voit, il la touche, cette cité lointaine. Il la compare à celle-ci, où l’on peut, librement, aller, venir, respirer ! Celle-ci, déjà sienne, déjà tendrement aimée.
Ici, les arbres escortent les avenues, entourent les places. De robustes bâtiments font revivre les siècles disparus, d’autres préfigurent l’avenir. Une population diversifiée flâne ou se hâte. Malgré problèmes et soucis, ils vivent en paix. En paix !
Là-bas les îlots2 en ruine se multiplient, des arbres déracinés pourrissent au fond des crevasses, les murs sont criblés de balles, les voitures éclatent, les immeubles s’écroulent. D’un côté comme de l’autre de cette cité en miettes, on brade les humains !
Omar-Jo se déchaîne, ses paroles flambent. Omar-Jo ne joue plus. Il contemple le monde, et ce qu’il en sait déjà ! Ses appels s’amplifient, il ne parle pas seulement pour les siens. Tous les malheurs de la terre se ruent sur ce manège.
Tout s’est immobilisé. Les chevaux ont terminé leur ronde. Le public écoute, pétrifié. Maxime, perplexe, n’ose pas faire taire l’étrange enfant. |