Résumé : |
« Rétrospectivement, le premier roman édité de Robbe-Grillet, Les Gommes (c'est en réalité le second), se révèle étonnamment prophétique de ses œuvres à venir : loin d'apparaître comme un ouvrage expérimental, ou un exercice de style dans un genre mixte - roman policier avec descriptions « objectales » –, il se présente comme l'archétype même du roman robbe-grilletien. Dans Les Gommes, ainsi que dans toutes les œuvres de Robbe-Grillet, le protagoniste décrit une trajectoire circulaire le ramenant en apparence à son point de départ – un peu comme s'il décrivait un cercle de Jean-Baptiste Vico. Pourtant, malgré la ressemblance des situations initiale et finale, le destin se trouve inéluctablement modifié. Le fabuleux serpent gnostique Ouroboros se mord la queue : telles les écailles bariolées de son corps sinueux, les objets et les scènes des Gommes composent une série secrète d'éléments dont chacun, en dépit de l'imbrication générale, calculée, semble persister obstinément dans une existence aberrante, injustifiable. Bien que des comptes rendus élogieux aient salué les Gommes dès sa parution (Jean Blanzat déclara qu'il était « un livre d'une surprenante autorité », et Jean Cayrol « un roman altier [..], un grand livre »), le roman passa plus ou moins inaperçu du grand public. C'est Roland Barthes, le premier exégète important de Robbe-Grillet qui lança, dans « Littérature objective » et « Littérature littérale », deux articles importants publiés par Critique, certaines idées maîtresses de la critique robbe-grilletienne qui ont guidé depuis lors nombre de ceux qui s'y consacrent. »
Bruce Morissette |