Résumé : |
« C'est en quelque sorte l'œuvre emblématique du Nouveau Roman, et la critique, qui avait lu dans L’Express quelques-uns des textes théoriques que Robbe-Grillet avait publiés, y vit simplement un exercice de style désagréable. Il s’agit en fait de tout autre chose. D’une œuvre autobiographique, d’abord, puisque l’auteur y décrit la maison où lui-même vécut en Martinique et, sans doute, une aventure sentimentale où il jouait le rôle de Franck. Il y est longuement question d’une plantation de bananiers ; on sait que Robbe-Grillet, ingénieur-agronome, est spécialiste des maladies de cet arbre. Le contraire, donc, d’une littérature désincarnée, desséchée, mathématique.
Pourtant le roman déconcerte, par la minutie schizophrénique des descriptions de l’espace (les fenêtres, la terrasse, les quinconces de la plantation, la trace du mille-pattes écrasé sur la cloison), les reprises de chaque épisode, de chaque observation, le remplacement de toutes les notions temporelles par des notions spatiales, ou, mieux, le traitement des unes selon le mode des autres. On ne remarqua pas que, tout comme dans Le Voyeur, l’énigme, ici plus clairement, tourne autour d’un instant « volé », comme la lettre d’Edgar Poe : la nuit de Franck et de A.
Le livre donne lui-même sa clé : « Ces répétitions, ces infimes variantes, ces coupures, ces retours en arrière peuvent donner lieu à des modifications - bien qu’à peine sensibles – entraînant à la longue fort loin du point de départ. » Autre facteur d’étrangeté : comme Godard, Robbe-Grillet se soucie fort peu de la « vraisemblance » du montage, et atteint, du coup, une étonnante efficacité dans le suspense, l’agressivité d’un drame toujours repoussé dans les marges. »
Jean-Jacques Brochier, Dictionnaire des œuvres (Laffont, « Bouquins », 1994). |