Résumé : |
Le faucheur prodigieux A la lisière de la vaste forêt qui cerne le Bas-Périgord entre la Dordogne et l'Isle et plus précisément aux environs de Villefranche-de-Longchapt, vivait jadis un riche propriétaire. Le secret de son opulence résidait en partie dans une avarice devenue proverbiale par tout le pays et, si on le jugeait mal, personne n'osait le lui dire en face car la brutalité de cet homme égalait sa pingrerie. Mais finalement, aux beaux jours, las de compter pour la paye de longues journées plus de coups de bâton ou de reproches que de pistoles, son personnel tout entier l'abandonna face aux récoltes urgentes. Dans toute la paroisse, nul n'accepta désormais de travailler pour lui. Il ne s'était jamais marié, de peur d'offrir un jour ou l'autre un bonnet ou un châle à son épouse, et ce soir-là, il réalisa combien lui manquaient des fils vaillants et dévoués. Oui, ce soir-là, la Saint-Jean passée d'une semaine, il ressassait sa rage, assis tout seul devant sa porte, à entendre les échos des joyeuses gavaudes, les repas en commun du voisinage. On chantait de bon cœur malgré les courbatures, autour des tables décorées du bouquet ornant la dernière charrette rentrée. La campagne à l'entour embaumait le foin coupé, cette odeur grisante, miraculeuse et inexplicable qu'exhale l'herbe mure, sitôt la faux passée. Rendu plus furieux encore par la liesse générale, insensible à la suavité de l'air, il contemplait le ciel du couchant dont les couleurs, une splendeur de pourpre, de turquoise et d'améthyste, ne lui disaient rien qui vaille : un orage éclaterait le lendemain. - C'est bien le diable si je ne trouve personne avant ! L'irascible avare ne perdait pas confiance, vous voyez. Or, au détour du chemin, s'avançait maintenant un pauvre homme maigre et barbu, trainant les pieds, le dos courbé par le malheur. À son cou, retenue par une ficelle vernie de crasse, une coquille indiquait son état de pèlerin. Le vagabond portait également en bandoulière, outre une besace lourdement chargée, une daille (faux) tellement tordue qu'on aurait dit un tire-bouchon et une serpette bien rouillée. À sa ceinture, pendait une corne de vache évidée qu'on appelle, encore de nos jours, le coffin ou coudier. Ce petit réservoir conserve humide dans de l'eau vinaigrée la pierre à aiguiser la faux. Lorsque le passant fut assez près, il salua le fermier d'un bien aimable «A Di sias» (soyez à Dieu ! À Dieu, adieu !). Cette coutume des pays occitans étonnera toujours les gens du Nord. |