Résumé : |
Le problème particulier de la catégorie des cadres posé à la sociologie est celui-là même de son existence : qu'y a-t-il en effet de commun entre un grand patron parisien issu de la vieille bourgeoisie et sorti d'une Grande Ecole, un ancien ouvrier devenu chef d'atelier, un représentant de commerce, un ingénieur de recherche de l'aérospatiale passé par le CNRS ? Chacun peut prétendre au titre de cadre. Pourtant presque tout les distingue : les diplômes, les revenus, l'origine sociale, le type d'activité professionnelle et jusqu'au genre de vie et aux opinions politiques. Ainsi, on ne peut dire de ce groupe qu'il existe comme une substance, ni même comme un ensemble homogène défini par l'association du semblable au semblable. Mais on ne peut pas dire non plus qu'il n'existe pas : de quelle science souveraine le sociologue pourrait-il s'autoriser pour constater la réalité d'un principe d'identité dans lequel se reconnaissent les agents sociaux ? Pour sortir du cercle où s'enferment les débats sans fin sur la " position de classe " des cadres, il faut prendre pour objet la conjoncture historique dans laquelle le groupe s'est constitué. Commençant avec la crise de 1936, son histoire sera étroitement mêlée à celle des luttes sociales et politiques qui accompagnent la reconversion de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie traditionnelles. Pourtant, le regroupement des cadres n'est pas un simple résultat d'une fatalité économique ou technique. Il a réclamé la mise en œuvre de multiples technologies sociales de mobilisation, d'identification et de classement. Et c'est au terme d'un immense travail collectif que le groupe s'est incarné dans ses institutions et a fini par faire reconnaître son existence comme fondée de toute éternité, dans la nature des choses. |