Résumé : |
Jusqu'à la restauration de Notre-Dame de Paris par Viollet-le-Duc, qui s'étendit de 1845 à 1864, on parlait de gargouilles : elles évacuaient l'eau. Fasciné par Victor Hugo, l'architecte réinventa la cathédrale, y installant cinquante-quatre statues de "chimères" sans aucune destination pratique. Pour le monde entier, elles devinrent les "gargouilles de Notre-Dame". Viollet-le-Duc imposait ainsi son Moyen Age, celui du XIXe siècle - une reconstruction du passé comme fantasme au lendemain de la Révolution française et de la Restauration.
Ce médiévalisme populaire, national, communal sera l'un des enjeux de l'identité européenne et occidentale. Les chimères-gargouilles de Viollet-le-Duc en sont la plus écrasante manifestation : un rêve gothique - au sens qui devint celui du gothic anglo-saxon. Du balcon de la cathédrale (le meilleur point de vue sur Paris, en l'absence d'une tour Eiffel encore à venir), les gargouilles regardent la ville que l'urbanisme d'Haussmann rend monstrueuse.
Et la ville, d'en bas, regarde les gargouilles, ces fleurs du Mal. Le temps des créatures bestiales commence : celui des monstres de la modernité qui, de Baudelaire jusqu'à Walter Benjamin, se déploient dans la capitale française. La promenade au long de la terrasse nous fait croiser, sous l'alibi d'un masque médiéval, la phobie du Juif, les maladies vénériennes, les prostituées, les crétins dégénérés, les singes, les monstres préhistoriques, les invertis...
A travers ces artefacts, la cathédrale restaurée (si peu médiévale) révèle les peurs, les comportements et les obsessions que le siècle de Viollet-le-Duc nous laissa en héritage : la violence politique, l'antisémitisme, le racisme, la crainte des maladies sexuelles, l'homophobie, l'eugénisme, l'évolution, les classes dangereuses. Il est temps de redécouvrir l'histoire de ce bestiaire fantastique. Elle hante aujourd'hui encore la fantasy, la Toile, l'imaginaire des mutants et notre inconscient collectif. |